Bref 81 – « Exploration de Johanna Vaude » par Rodolphe Olcèse

Bref 81

« Exploration de Johanna Vaude » par Rodolphe Olcèse (english below)

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Exploration de Johanna Vaude

Par Rodolphe Olcèse

Qu’il soit permis d’introduire le film de Johanna Vaude par une petite indication lexicale. Le dictionnaire d’Émile Littré, positiviste du XIXe siècle et grand penseur de la langue, donne deux sens au terme “exploration”. Le premier, qui a à voir avec la découverte de territoires inconnus, nous est familier. Le second est emprunté au vocabulaire médical. Le médecin procède à une exploration lorsqu’il examine les symptômes d’une maladie ou cherche à découvrir un ulcère. Ce n’est sans doute pas un hasard, donc, si Johanna Vaude en appelle, dans cet exercice d’hybridation qu’est Exploration, à l’imagerie scientifique et médicale.

Le mouvement que la cinéaste plasticienne veut accomplir en se proposant un tel point de départ est vaste. Il s’agit en effet de passer du microscopique au macroscopique, et de donner à voir, en un sens, une certaine polymorphie de l’abstraction, toute contradictoire que cette expression puisse paraître. C’est une chose en effet que d’être abstrait parce que trop minuscule pour être observé dans l’immédiateté de sa présence, et c’en est une autre de l’être parce que l’immensité (de l’espace étoilé notamment) fait disparaître les formes sur lesquelles nos yeux s’ouvrent quotidiennement. En accomplissant ce mouvement qui va des cellules aux étoiles, Johanna Vaude nous fait passer, par des images pyrotechniques et explosives, associées à une bande-son où s’entend la pulsation même du film, à cette fiction que la science n’a cessé de nourrir, confirmant, après Samouraï et De l’amort, que son œuvre, avec son exigence singulière et son sens de l’épreuve, se doit comprendre comme un hommage au cinéma de genre.
Il faut distinguer encore la dimension des larmes qui secrètement habite le verbe explorer. Selon Littré encore, son étymologie latine –  ex-plorare – y invite. C’est une manière de confirmer que dans l’exploration, il y va de nos yeux et de notre regard. Les pleurs coulent et franchissent une distance. Exploration, où la liquidité a une place manifeste, est pareillement un long écoulement, et s’efforce de suggérer quelque chose comme une rencontre qui soit, comme toute rencontre peut le devenir, puissance d’engendrement et de nouveauté, comme telle déchirante. Il est beau que nous puissions y voir une allégorie de la pratique cinématographique, grandie, possiblement, de la lucidité des larmes.

Exploration, 2006, mini dv, couleur, 18 mn 45.
Réalisation et son : Johanna Vaude.

Bref_81_Exploration
 
« Exploration de Johanna Vaude » par Rodolphe Olcèse in Bref  n°81- Janvier-avril 2008 , p.60
Johanna Vaude’s “Exploration”

By Rodolphe Olcèse 

Let us first introduce Johanna Vaude’s film with a small lexical information. Emile Littré’s dictionary, a positivist of the 19th century and a great thinker of the language, gives two meanings to the word “Exploration”. The first one, which has to do with the discovery of unexplored territories, is familiar. The second one comes from the medical vocabulary. The doctor carries out an exploration when he examines the symptoms of a sickness or looks for an ulcer. Then it is not by accident that Johanna Vaude, in this hybridization exercise called “Exploration”, appeals to the scientific and medical imagery.

The movement that the filmmaker/visual artist wants to achieve with this starting point is huge. It is a matter of going from the microscopic to the macroscopic, and to let see, in a sense, a kind of polymorphic abstraction, whatever contradictory this expression may appear. As a matter of fact it is one thing to be abstract when too tiny to be observed in its immediate presence, and another one when the immensity (for instance of the starry space) makes the forms on which our eyes open every day disappear. In accomplishing this movement from the cells to the stars, Johanna Vaude leads us, through pyrotechnics and explosives images associated with a soundtrack where the very pulsation of the film is to be heard, to this fiction that science never stopped nourishing, confirming after “Samouraï” (Samurai) and “De l’Amort” (Love & Death) that her work, with its particular demand and its sense of confrontation, must be understood as a tribute to genre cinema.

 

It is also necessary to distinguish the dimension of the tears that secretly inhabit the verb “to explore”. Referring again to the “Littré” dictionary, its Latin etymology – ex-plorare – invites thereto. It is a way to confirm that in the exploration, our eyes and glances are at stake. Tears run down and cover a distance. Exploration, where liquidity has an obvious place, is also a long flow, and tries to suggest something like a meeting that becomes, as any meeting may be in the future, power of procreation and novelty, as such heartrending. It is beautiful that we can see there an allegory of filmmaking, increased, possibly, by the lucidity of tears.

Exploration, 2006, mini dv, colour, 18 mn 45.

Réalisation et son : Johanna Vaude.

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